Je mets les pieds pour la première fois dans ce joli théâtre parisien. « L’Athenée » accueille une production du sud (Théâtre National de Nice) pour une pièce qui divise les critiques : « Le bagne » de Jean Genet mise en scène par Antoine Bourseiller se joue pour la dernière fois après un mois de représentations. Le théâtre n’est pas plein et je suis installé au troisième rang. Ce détail a de l’importance. Bourseiller vient nous parler avant le début de la pièce. Il la replace dans l’histoire de Genet et nous invite (« éventuellement ») à faire une ovation à l’issue du spectacle pour saluer la fin de l’épopée. Cette intervention n’apporte rien, mais cela semble lui faire tellement plaisir. Douterait-il de notre jugement?
Le rideau se lève. Le décor, sur des roulettes, est à deux faces. Il est imposant et très massif sur cette petite scène. C’est une prison. Sur le toit, les policiers voient tout, le doigt sur la gâchette. Mais ils jouent aussi le soleil et la lune pour nous éclairer sur la dualité complexe des personnages, entre ombre et lumière, entre masculin et féminin. Sur scène, le Directeur, l’aumônier-économe et Marchetti, le plus beau gardien du bagne. Ils ont à eux trois main mise sur les neuf bagnards. Séduction, coups tordus, violence physique et verbale ponctuent les rapports entre ces hommes que tout oppose, mais dont le lien s’avère indestructible tant il est ancré dans des jeux pervers. L’arrivée d’un nouveau bagnard, Forlano, déstabilise ce bel équilibre. Tout au long de l’histoire, nous ne l’entendons presque pas, mais ses gestes et postures en disent long sur ses intentions. Il est l’enjeu du pouvoir entre deux autres bagnards (Rocky et Ferrand) qui se livrent aux plus basses stratégies pour conquérir ses faveurs. L’assassinat de Marchetti envoie Forlano à la guillotine (le Directeur ne s’embarrasse pas d’un procès !). Vous l’aurez compris, la pièce de Genet se joue en eaux troubles. Les dialogues sont inégaux (est-ce sa plus belle oeuvre?) ; certaines scènes prennent à la gorge (lorsque le gardien présente Forlano à ses compères ou quand les bagnards refusent à tour de rôle d’étendre le linge !).
Mais la mise en scène n’est pas à la hauteur de la complexité de la situation et des personnages. A l’image du décor trop massif, les épisodes s’enchaînent avec lourdeur comme si Bourseiller traînait un boulet. Les comédiens semblent aussi prisonnier d’un jeu où la séduction, l’ambiguïté empruntent parfois les codes de la culture gay actuelle. En les cantonnant dans des cases (c’est le cas de le dire), nous n’avons que rarement une vue d’ensemble des jeux entre les protagonistes. Bourseiller a donc choisi d’ajouter au poids du décor, le cloisonnement entre les acteurs. Est-ce bien nécessaire ? Cette pièce aurait mérité une scène plus longue avec un décor moins haut (comment regarder la lune et le soleil alors que les comédiens jouent en bas !). J’ai surtout l’étrange sensation que la mise en scène ne s’inscrit pas dans un contexte. Si Genet passe sous silence l’aspect politique du bagne, Bourseiller aurait pu replacer la pièce dans un contexte historique (certes la France n’a jamais fait ce travail d’introspection ; il aurait pu le faire). Au final, cette pièce ne mérite pas certains commentaires excessifs entendus à la sortie (« C’est à chier ! »).
Pour ma part, c’est une transmission à la jeune génération de metteurs en scène qui, moins complexée, donnera à cette œuvre de Genet une fluidité capable de l’ancrer dans l’histoire de la France et du Théâtre.
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